Hommage

Hommage à Mikhaïl Gorbatchev

Le dernier président de l'URSS est décédé le mardi 30 août. Figure politique et historique du siècle dernier, il avait également reçu le prix Nobel de la paix en 1990. Il y a vingt ans, l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne lui avait décerné les insignes de docteur honoris causa.

L'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne s'associe aux nombreuses voix à travers le monde qui saluent depuis quelques jours la mémoire de Mikhaïl Gorbatchev qui dirigea l'URSS entre 1985 et 1991. Homme d'État dont la biographie sera à jamais marquée par son engagement en faveur de la libéralisation économique, culturelle et politique de l'URSS – avec la perestroïka puis la glasnost – et par sa contribution à la fin de la guerre froide pour laquelle il fut lauréat du prix Nobel de la paix en 1990.

Fidèle à sa vocation universaliste, l'université et son président d'alors, Michel Kaplan, avaient choisi de lui décerner les insignes de docteur honoris causa à l'occasion d'une cérémonie qui s'était déroulée dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le 12 décembre 2001 en présence de Jack Lang. Il fait ainsi partie des 24 personnalités politiques, sur les 68 docteurs honoraires de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à avoir reçu cette distinction en reconnaissance de ses "services éminents rendus aux sciences, aux lettres, aux arts, à la France ou l'université qui décernera le titre". Comme il le disait lui-même : "Les hommes doivent, partout dans le monde, reconnaître leur appartenance au genre humain, avec l’ensemble des droits et des devoirs qui découlent de cette idée."

► Les Éditions de la Sorbonne proposent en accès libre le livre Les hommes de Gorbatchev de l'historienne Sophie Momzikoff-Markoff, ancienne doctorante de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

  • Discours de Jack Lang lors de la Cérémonie de remise des insignes de docteur honoris causa à Mikhaïl Gorbatchev

    Monsieur le Président, cher Ami,
    Messieurs les Ambassadeurs,
    Monsieur le Recteur Chancelier,
    Monsieur le Président de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
    Madame et Messieurs les Académiciens,
    Mesdames et Messieurs les Professeurs,
    Mesdames et Messieurs,

    L'une des plus prestigieuses universités de France, l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne, a collégialement souhaité vous conférer aujourd'hui le titre de Docteur Honoris causa. Les autorités françaises ne peuvent que se réjouir de la dignité à laquelle vous êtes élevé.

    Le ministre de l’Éducation nationale et l'universitaire que je suis sont particulièrement honorés et heureux d'être associés à cette remise de diplôme et je remercie Monsieur le Président Michel Kaplan de me permettre d'ouvrir, par quelques mots, cette belle cérémonie.

    Votre nom, Monsieur Gorbatchev, résonne dans le monde entier comme l'un des symboles les plus forts de l'histoire contemporaine. Chacun sait, et nous vous en sommes reconnaissants, que vous avez rendu possible ce qui, pour beaucoup, semblait simplement inimaginable. Vous avez ouvert la voie de la liberté au peuple russe et à tous ceux qui, en Europe centrale et orientale, n'en finissaient plus de l'attendre. Vous avez su construire les conditions d'une véritable détente et de coopérations entre les nations, et rompre ainsi avec les vieux et sombres réflexes de la guerre froide.

    Dans ce nouveau climat, vous avez su rendre irréversible un processus de démocratisation, en dépit des résistances et des nostalgies qui, ici ou là, affleuraient encore. Ce rôle de moteur et d'accélérateur de l'Histoire vous a donné une dimension véritablement emblématique, associant pour toujours votre nom à celui de la perestroïka, terme devenu étrangement familier à tant de non russophones.

    L'importance et la rareté de votre action, et nous ne le dirons jamais assez, c'est que vous avez eu l'intelligence, de cœur et de raison, d'accepter la révolution démocratique que vous aviez engagée.

    Mais derrière la grande figure de l'histoire, nous n'oublions pas l'homme, car votre destin n'est pas séparable de votre parcours, qui sera évoqué plus longuement par le Professeur Jean-Claude Colliard, votre parrain aujourd'hui.

    Pour ma part, je retiendrai essentiellement l'adéquation entre vos choix, vos attitudes, vos responsabilités et les aspirations de la jeunesse. De votre engagement dans les Jeunesses communistes – dans votre district de Stavropol ou lorsque vous étiez étudiant en droit auprès de la grande université Lomonossov de Moscou – à votre accession, en 1985, au poste suprême du parti communiste et de l'État soviétique, vous avez toujours été aux côtés de la Jeunesse.

    Permettez-moi, Monsieur le Président, de vous dire combien les orientations politiques si audacieuses que vous avez d'emblée fait prévaloir, souvent, contre vents et marées, ont immédiatement dessiné l'image d'un homme d'État qui saurait incarner le mouvement et répondre aux attentes de la jeunesse de son peuple et de celle de tant d'autres peuples.

    Comme vous, j 'appelle de mes vœux que les jeunesses de nos deux pays multiplient les rencontres. Près de 2 000 étudiants russes étudient actuellement en France et depuis 1990, les universités françaises russes ont signé 200 accords de coopération. Les enseignants-chercheurs de nos deux pays unissent leurs efforts au sein de beaux projets et je salue notamment le partenariat exemplaire de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et du Haut Collège économique de Moscou ou encore le rôle essentiel joué par Paris 1 dans le développement des Collèges universitaires français de Moscou et Saint-Pétersbourg.

    Monsieur le Président, aujourd'hui, la Sorbonne vous rend hommage et vous honore. Mais c'est également le peuple français qui vous témoigne et vous garde sa reconnaissance et son amitié.

  • Discours de Michel Kaplan lors de la Cérémonie de remise des insignes de docteur honoris causa à Mikhaïl Gorbatchev

    Monsieur le Président,
    Monsieur le Ministre, Messieurs les Ministres,
    Monsieur le Recteur,
    Mes chers collègues,
    Mesdames, Messieurs,

    En décernant le titre de Docteur Honoris Causa, l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne entend honorer l'apport d'une femme ou d'un homme au progrès de l'humanité. Le plus souvent, il s'agit d'universitaires à l'œuvre particulièrement prestigieuse. Parfois, comme aujourd'hui, il s'agit d'hommes politiques dont l'apport à la vocation humaniste de notre université s'est avéré décisif : Monsieur le Président, vous rejoignez ainsi parmi nos docteurs Nelson Mandela, président de la République Sud-Africaine, et Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU.

    Dans quelques instants, le Professeur Colliard, membre du Conseil Constitutionnel, la plus haute autorité juridictionnelle de notre pays, éminent spécialiste de Sciences Politiques, retracera votre œuvre d'homme politique. Je voudrais expliquer ici pourquoi votre parcours correspond à la vocation de l'Université que j'ai l'honneur de présider, ce qui a conduit les instances de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne à proposer à Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale de bien vouloir prendre l'arrêté vous conférant le titre de Docteur Honoris Causa.

    D'abord par votre parcours universitaire : celui-ci a montré le goût pour le savoir d'un fils de paysan dont le père mobilisé pour combattre l'armée nazie s'inquiétait que son fils eût des chaussures pour aller à l'école, goût qui l'a conduit à un diplôme de jurisprudence à l'Université Lomonossov de Moscou ; goût qui, quelques années plus tard, vous a conduit sur le chemin de la formation continue pour un diplôme d'économie agricole.

    Ensuite, évidemment, par votre œuvre à la tête de l'URSS. Non seulement votre compréhension exceptionnelle de la société soviétique – nous dirions votre science de la Société – vous a conduit à énoncer la nécessité d'une restructuration, mais vous avez bien perçu que la liberté de pensée, de réflexion, la transparence, était la condition absolument nécessaire pour réussir la restructuration. En ceci, votre démarche rejoint celle de l'Université qui vous accueille.

    Permettez-toutefois, Monsieur le Président, que je retrouve un instant le métier d'historien qui est le mien pour vous dire l'émotion que je ressens à décerner le titre de Docteur à l'un des personnages qui font déjà l'objet d'études savantes d'éminents spécialistes de notre université et de l'enseignement reçu par nos étudiants. L'école historique française nous a appris que l'Histoire était le résultat du jeu contradictoire des groupes qui constituent les sociétés humaines, mais qu'il revenait à certains hommes d'être les artisans de l'évolution. L'historien se plaît à saluer en vous l'un des accoucheurs de l'histoire du XXe siècle et peut-être du XXIe siècle, et ceci dans son côté : le progrès de la liberté et le recul de la tension internationale qui vous ont valu le Prix Nobel de la Paix.

    Une note plus personnelle encore, venue cette fois-ci du professeur d'Histoire byzantine que je suis. Depuis Constantin, l'Orient chrétien a eu pour conception que l'homme à la tête de l'État était le lieutenant de Dieu sur terre, dont les décisions ne se discutaient pas. Après la chute de la seconde

    Rome, Moscou a repris cette tradition et le régime né de la révolution de 1917 s'est finalement coulé dans cette tradition. En lançant votre politique de restructuration par la transparence, en donnant la parole aux citoyens face à l'État, en cessant d'être le chef qui a toujours raison pour devenir celui qui impulse l'évolution de la société. Auriez-vous ainsi fini par mettre fin à l'Empire byzantin ?

    La foule-qui se presse ici ce soir montre l'écho que votre pensée et votre œuvre rencontrent dans notre communauté universitaire. C'est pourquoi, cher Mikhail Sergueïevitch, je suis heureux et fier de vous accueillir au nombre de nos docteurs.