Hommage

Hommage à Michael Snow

Le cinéaste, plasticien, photographe et musicien Michael Snow s’est éteint jeudi 5 janvier 2023, à l’âge de 94 ans. L’artiste multidisciplinaire canadien, docteur honoris causa de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2004, était reconnu par ses pairs comme l’un des plus talentueux de sa génération, sinon l’un des plus créatifs et prolifiques. 

Né le 10 décembre 1928 à Toronto, au Canada, Michael Snow fut l’un des artistes les plus influents de sa génération, dont l’héritage, riche de mille visages, continuera de se transmettre avec le temps. Si l’œuvre de l’artiste ne peut être véritablement résumée, la citation suivante, en 1967, selon les mots de l’artiste lui-même, s’y éprouve pourtant brillement : « Mes peintures sont faites par un cinéaste, mes sculptures par un musicien, mes films par un peintre, ma musique par un cinéaste, mes peintures par un sculpteur, mes sculptures par un cinéaste, mes films par un musicien, ma musique par un sculpteur… qui parfois travaillent tous ensemble. En outre, mes peintures ont été en grand nombre faites par un peintre, mes sculptures par un sculpteur, mes films par un cinéaste et ma musique par un musicien. Il y a une tendance vers la pureté dans chacun de ces médiums en tant qu’entreprises séparées ». 

Michael Snow et le cinéma expérimental 

Si Michael Snow s’est illustré dans plusieurs disciplines telles que la sculpture, la photographie, la peinture et la musique, il est aujourd’hui reconnu comme un cinéaste, un cinéaste expérimental de génie, refusant de choisir un médium et de s’y contraindre. Michael Snow a d’abord étudié la peinture et la sculpture à Toronto avant de rejoindre New-York dans les années 1950, où il fut immédiatement remarqué par certains critiques et théoriciens du cinéma expérimental de Manhattan, dont l’écrivain et réalisateur lituano-américain Jonas Mekas. 

En 1967, l’artiste canadien présentait le moyen-métrage Wavelength, un zoom continu de 45 minutes qui traverse l’atelier de l’artiste et se termine sur un plan rapproché d’une photographie de l’horizon marin. Wavelength demeure son œuvre la plus célèbre à ce jour. Les critiques du magazine Village Voice l’avaient d’ailleurs élu 85ème meilleur film du XXème siècle en 2001. 

En 1971, Michael Snow révélait le long métrage La Région centrale, une véritable prouesse esthétique que nombreux considèrent aujourd’hui comme son œuvre la plus aboutie. Réalisé sur la Côte-Nord du Québec, ce film montre, trois heures durant, un paysage nordique inhabité, désert et vide de mouvement. Caché derrière l’unique rocher du paysage visible dans le film, le torontois télécommandait une caméra fabriquée sur-mesure capable de filmer ce que l’œil humain ne pouvait. 

En somme, Michael Snow a marqué l’histoire du cinéma canadien, laissant après lui des réalisateurs mondialement connus tels que Chantal Akerman ou Atom Egoyan. Alan Fleischer, cinéaste, photographe et plasticien français, lui rendant hommage, déclarait d’ailleurs : « Michael Snow restera comme un artiste dont chaque œuvre est marquée à la fois par une imagination unique et par une pertinence indépassable. On peut considérer qu’il a été le plus grand inventeur de formes nouvelles dans l’art de son temps ». 

Le décloisonnement des disciplines artistiques 

La portée du travail de Michael Snow ne se limite évidemment pas au cinéma expérimental, abolissant ainsi les frontières de l’art et de l’esthétique. L’artiste canadien exerça également une grande influence dans le monde de la musique, et du free jazz notamment. Il est par exemple le co-fondateur d’un orchestre d’improvisation libre nommé Canadian Creative Music Collective (CCMC), dans lequel il était pianiste. 

Michael Snow était aussi un plasticien. Il réalisa notamment de nombreuses installations d’art public, à l’instar de Flight Stop en 1979, qui représente des oiseaux migrateurs survolant un centre commercial, ou The Audience en 1989, représentant des amateurs de sports recouverts d’or, plus grands que nature, s’échappant du stade de la ville de Toronto. Son installation d’art la plus célèbre demeure probablement la Walking Woman, une femme faite de carton, sans épaisseur, s’apparentant presque à un déchet public. 

Au travers d’une immense carrière de près de soixante-dix ans, marquée par le décloisonnement des disciplines artistiques, Michael Snow s’est affirmé comme l’un des artistes contemporains les plus influents du siècle dernier. Celui qui interprétait le monde à travers l’art s’est aujourd’hui éteint et laisse derrière lui un incommensurable héritage.