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PASSER’AILE : un projet de renforcement et d’accompagnement social à la croisée des savoirs

Depuis le 1er septembre 2020, Françoise Blum dirige – au sein du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS) – le pôle recherche du projet ERASMUS+ PASSER'AILE, initié par l’association franco-sénégalaise Futur au présent (FAP). Spécialiste de l’histoire sociale africaine, elle raconte son expérience au sein de ce projet social de coopération et d'échange. 

Pouvez-vous d’abord nous décrire brièvement le projet « PASSER’AILE : Un pont entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe » ? Quels en sont les objectifs et les enjeux ? 

Le projet PASSER’AILE est un dispositif initié par l’association de solidarité internationale franco-sénégalaise Futur au présent, dont l’objectif est de lutter contre la pauvreté et d’améliorer l’accès à l’éducation pour les personnes défavorisées. Futur au présent intervient dans les principales villes et régions du Sénégal, et en particulier à Ziguinchor, capitale régionale de la Casamance. Le projet PASSER’AILE, initialement imaginé par cette association, vise à protéger et améliorer les conditions de vie des mineurs non accompagnés qui parviennent en France, en Italie ou en Espagne. 

Comment et sous l’impulsion de quels acteurs ce projet a-t-il vu le jour ? Quelles sont les autres institutions partenaires engagées ? 

Si Futur au présent est à l’initiative de ce projet, d’autres structures et associations y sont impliquées et s’y sont greffées au fil des mois. C’est notamment le cas des Apprentis d’Auteuil en France, une association catholique qui accompagne des jeunes et des familles fragilisées et qui dispose de structures d’accueil pour mineurs. En Espagne, c’est Caritas, une association qui, à travers des programmes d’accueil et d’assistance, travaille pour la défense des droits des personnes et leur développement. En Italie, c’est l’association Per Esempio qui, quant à elle, ne dispose pas de structures d’accueil mais s’occupe toutefois d’améliorer la prise en charge éducative et juridique des mineurs non accompagnés. Enfin, au Mali, l’Association jeunesse et développement (AJDM) place également, en mettant l'accent sur la participation effective et l'autonomisation, des mineurs et des personnes défavorisées dans des centres d’accueil prévus à cet effet. 

Pourquoi avez-vous décidé de vous joindre au projet PASSER’AILE ? Quelles étaient vos motivations initiales ? 

Dès les origines du projet, Futur au présent a souhaité nous associer, parce que le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains s’intéresse à l’histoire et aux trajectoires sociales des acteurs et actrices du monde contemporain, en Afrique de l’Ouest notamment. Nous avons évidemment accepté, parce que nous considérons, entre autres, qu’il est extrêmement intéressant et enrichissant pour des chercheurs et chercheuses de travailler avec la société civile. Et aussi parce que nous pensons pouvoir apporter une certaine forme d’expertise scientifique à ce projet. 

Quel est le rôle du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (CHS) dans ce projet ? Et, plus personnellement, quelle est votre place dans celui-ci ? 

Il s’agit, pour les chercheurs et chercheuses du CHS impliqués, de suivre les « relectures de pratique », en d’autres termes, les résultats des expériences d’immersion des travailleurs sociaux ouest-africains dans les différentes structures européennes. À partir de cela, nous tâchons de rédiger un article qui s’apparente à une « recherche-action », non pas sous la forme d’un rapport mais d’une analyse scientifique de ces expériences et de ce qu’elles produisent. Nous souhaitons ainsi que les travailleurs sociaux ouest-africains, qui soutenaient déjà la réinsertion des mineurs non accompagnés, puissent faire part de leurs expériences aux travailleurs sociaux européens, qui s’occupent eux aussi de mineurs non accompagnés ouest-africains. 

C’était aussi l’occasion, parce qu’il me semblait utile de le faire, d’organiser un séminaire de recherche. Nous avons imaginé ce séminaire comme un temps de rencontre où l’on entend à la fois et lors d’une même séance la parole des chercheuses et chercheurs et des travailleuses et travailleurs sociaux. Nous souhaitons ainsi confronter les points de vue, les expériences de pratique et de recherche. Il s’agit là de profiter de l’expertise de chercheurs et chercheuses qui ont travaillé sur des sujets qui concernent les migrations des mineurs – en tant qu’individus socialement fragilisés – et de bénéficier d’analyses sociologiques et historiques pertinentes.  

La présence du CHS dans ce projet témoigne donc de l’importance et de l’ambition de croiser les regards entre acteurs du monde social et chercheurs en sciences humaines et sociales ? 

Exactement, il s’agit d’apporter une expertise scientifique aux travailleurs sociaux et, en retour, de profiter de l’expérience de terrain de ces derniers. Il y a donc une relation, non pas d’aide, mais de concertation entre le monde de la recherche et le monde associatif. 

Nous souhaitions aussi associer le CHS – initialement sollicité par Futur au présent – avec d’autres laboratoires de recherche. Ce fut notamment le cas de l’Institut d'histoire du temps présent (IHTP) avec Mathias Gardet, enseignant-chercheur à Paris 8, dont les recherches portent sur les politiques sociales à l’égard de l’enfance et de la jeunesse. Il était notamment, du 5 octobre au 9 décembre 2022, le maître d’œuvre d’une exposition présentée à l’Humathèque du Campus Condorcet intitulée « Mer, navires, avions : la traversée de la Méditerranée racontée par de jeunes exilés ». Nous avons également sollicité Daouda Gary-Tounkara, chercheur à l’Institut des mondes africains (IMAF), qui lui travaille sur les migrations ouest-africaines et les récits de voyage. Pour ce qui est du CHS, Lola Zappi, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, s’est récemment jointe à nous et, par conséquent, au projet PASSER’AILE. Elle travaille quant à elle sur le service social et la protection des mineurs. En somme, si le pôle recherche est plutôt restreint, nous tenons toutefois, lors de chaque séminaire, à inviter des chercheurs et chercheuses qui ont rencontré, à un moment ou un autre, dans leurs recherches et leur quête de documents scientifiques, la question des mineurs non accompagnés, de ce que cela implique pour eux et des possibles prises en charge institutionnelles. 

Enfin, il y a un sujet qui intéresse la recherche et que l’on ne peut négliger : la dimension comparatiste du projet, entre la France, l’Espagne et l’Italie. Ces pays n’ont évidemment pas la même façon de gérer et d’accueillir les mineurs non accompagnés. Et ces différences, du point de vue de la recherche, sont très intéressantes. 

Le projet devrait se clore le 31 aout 2023, à neuf mois de la fin, quels enseignements pouvez-vous déjà en tirer ? Quels en sont les résultats ? 

C’est très difficile à dire. Il y a évidemment de nombreuses choses très positives, notamment dans notre relation avec les travailleurs et travailleuses sociales. Sans que cela soit critique, nous, chercheurs et chercheuses, n’avons pas le même regard que les travailleurs sociaux. C’est d’ailleurs très intéressant, ces visions et ces approches différentes peuvent tout à fait être complémentaires et s’apporter réciproquement. 

Nous avons néanmoins mis en lumière certaines limites du projet. Par exemple, la durée des immersions ne suffit pas véritablement à changer les pratiques… 

Comment percevez-vous l’après-projet ? Avez-vous pour ambition de prolonger et d’entretenir les liens préalablement construits et les travaux scientifiques engagés ? 

Absolument ! Futur au présent a récemment déposé un projet ANR dans lequel nous sommes encore impliqués, sur des thématiques analogues à celles déjà rencontrées. Cependant nous n’avons pas encore les résultats de cette demande. 

Atelier : vous avez dit intégration ?  

Le prochain atelier du séminaire, prévu le 26 janvier 2023, s’intitule « Vous avez-dit intégration ? ». Il mettra en perspective le concept d’intégration et permettra de voir ce qu’il représente et ce qu’il signifie pour les travailleurs sociaux, les travailleuses sociales, les chercheurs et les chercheuses afin de déconstruire certaines notions du sens commun parfois récupérées et utilisées maladroitement par les pouvoir publics. Cet atelier, à l’instar des autres, oscillera entre interventions de chercheurs et intervention-réactions de travailleurs et travailleuses sociales. 

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