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Sortie du Dictionnaire juridique du changement climatique

Rencontre avec Marta Torre-Schaub (ISPJS UMR 8103, CNRS / Paris 1 Panthéon-Sorbonne) à l’occasion de la sortie du Dictionnaire juridique du changement climatique, qu’elle a co-dirigé avec Aglaé Jezequel, Blanche Lormeteau et Agnès Michelot.

Le Dictionnaire juridique du changement climatique est sorti en librairie le 5 octobre dernier aux éditions Mare & Martin, dans la collection de l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS UMR 8103 Paris 1 Panthéon-Sorbonne / CNRS. L'ouvrage, co-dirigé par Marta Torre-Schaub, Aglaé Jezequel, Blanche Lormeteau, Agnès Michelot et préfacé par Jean Jouzel, est le fruit d'une collaboration avec plus de deux cent auteurs. Il a été réalisé grâce au soutien de l'ISJPS, de la direction de la recherche et de la valorisation (Direval) de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et du CNRS.

Marta Torre-Schaub est directrice de recherche au CNRS, rattachée à l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR 8103). Spécialiste en droit de l'environnement et changement climatique, elle enseigne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans le cadre du Master 2 Droit International et comparé. Elle est fondatrice et directrice du GDR ClimaLex.

Pour quelles raisons avez-vous entrepris l’écriture de ce dictionnaire ?

Marta Torre-Schaub : Plusieurs raisons nous ont conduit à entreprendre ce projet. Tout d’abord, la collaboration étroite établie au sein du GDR ClimaLex depuis 2017 nous permettait d’avoir une démarche résolument interdisciplinaire, telle que la thématique du changement climatique l’impose. Ensuite, et parce que cela manquait jusqu’ici, un travail à la fois précis mais accessible sur le vocabulaire impliqué dans la question climatique nous a paru indispensable. Par ailleurs, et alors que le droit semble prendre une place de plus en plus importante dans les négociations climatiques et les politiques publiques, il n’y avait, jusqu’à la publication de notre ouvrage, aucun travail permettant de comprendre et de manier la terminologie à la fois juridique et scientifique sur le changement climatique. Enfin, cet ouvrage apporte un éclairage nouveau en réactualisant et intégrant des notions à fort contenu juridique, ainsi que d’autres disciplines de SHS et des sciences dures maniées par le GIEC lui-même.

A qui s’adresse-t-il ?

Marta Torre-Schaub : L’ouvrage favorise la portée et une lecture du grand public pour une meilleure compréhension des enjeux posés par l’urgence climatique. Dans le même temps, il s’adresse aussi à la communauté scientifique en entier : des juristes qui s’intéressent au changement climatique, jusqu’aux géographes. Des historiens, mais aussi des économistes, des philosophes, des politistes et anthropologues trouveront un intérêt certain dans les nomenclatures établies par cet ouvrage. Il tend également à apporter aux scientifiques climatologues des perspectives nouvelles et différentes sur la question climatique, afin qu’ils puissent en tenir compte lors de leurs expertises. Nous nous adressons également aux instances de prises de décision, ainsi qu’au législateur et aux responsables de politiques publiques climatiques pour leur apporter un soutien.

Cet ouvrage collectif est inédit en France. Quel éclairage nouveau apporte-t-il à la thématique du changement climatique ?

Marta Torre-Schaub : L’éclairage est bien sur nouveau, original et rigoureux. À partir de notre approche lexicale, l’ouvrage apporte une vision accessible et claire sur un phénomène, le changement climatique, qui est lui complexe. L’ouvrage a une double finalité : il établit une première nomenclature interdisciplinaire du changement climatique. À dominante juridique, il favorise toutefois une lecture facile et une approche du changement climatique très complète pour le grand public.

Parmi les presque 200 entrées que contient cet ouvrage, laquelle a été la plus complexe ou la plus délicate à définir ?

Marta Torre-Schaub : Il n’y a pas forcément des entrées plus simples ou d’autres plus délicates car elles forment un ensemble offrant un tableau large et complet. Le but de l’ouvrage est de donner une approche systémique de la question climatique, jusqu’ici traitée souvent de manière « fragmentée » ou trop « disciplinée ». Notre dictionnaire est interdisciplinaire, ce qui a supposé pour les co-directrices une première opération laborieuse de choix entre les différents concepts et la façon de les traiter. Une fois la terminologie établie entre nous, le deuxième défi a été pour les co-directrices et pour les auteurs de traiter chacun de termes de manière concise, accessible et bien documentée. Une troisième question méthodologique que nous avons dû résoudre, était celle du niveau de détail à traiter pour chacune des entrées. Le résultat ne laisse aucun doute : l’ensemble d’auteurs a réussi à affronter tous ces défis avec succès et brio et l’ouvrage reflète bien la recherche de précision, de rigueur et de clarté pour chacune des définitions. Nous avons également choisi d’aborder les concepts de manière à la fois historique, contextualisée et intégrée. Nous avons enfin réussi également à présenter chaque concept ancré dans l’actualité sociojuridique, économique, scientifique et politique.

Vous dirigez le réseau interdisciplinaire CLIMALEX sur le droit et le changement climatique, dans le cadre de l'axe environnement de l'ISJPS. Pouvez-vous nous présenter brièvement ses missions et son actualité ?

Marta Torre-Schaub : Le GDR 2032 ClimaLex est un groupement de recherche que j’ai fondé en 2017 sous le nom d’abord de Réseau Droit et Changement climatique et qui en 2018 a pris le nom de ClimaLex afin de bien évoquer notre vision transversale et interdisciplinaire du changement climatique. Le GDR est soutenu par l’INSHS du CNRS et plusieurs sections interdisciplinaires du comité national du CNRS. Il regroupe 14 équipes et unités de recherche repartis en différentes universités et centres de recherche sur toute la France. Il compte également des personnalités scientifiques rattachées à d’autres institutions de recherche et à des universités étrangères. ClimaLex est composé de chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants et professionnels du droit et du changement climatique qui travaillent de manière interdisciplinaire. Le noyau dur du groupement se trouve à l’ISJPS de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne dans la mesure où, étant sa directrice, j’exerce mes fonctions au sein de cet établissement. Ses membres sont juristes, climatologues et issus également d’autres disciplines de SHS. Nous avons accompli une première étape entre 2018 et 2022, notre renouvellement a été confirmé par le CNRS pour une deuxième étape sur les prochaines cinq années.

En quoi le droit est-il aujourd’hui un levier face à la crise climatique ?

Marta Torre-Schaub : Le dernier rapport du GIEC publié en août 2022 l’a bien confirmé : le droit et désormais un levier indispensable permettant de faire évoluer les modes de gouvernance du changement climatique. Les négociations westfaliennes multilatérales internationales en matière de changement climatique avancent de manière lente et peu efficace, voire très peu effective. Face à ce retard pris au sein de la communauté internationale de par les parlers diplomatiques, le droit, qu’il soit mobilisé au niveau national, régional (Union Européenne, Amérique latine) ou au niveau international via des accords bilatéraux ou la résolution arbitrale de disputes, permet de faire avancer la lutte contre le changement climatique de manière novatrice et fructueuse. Les contentieux climatiques par exemple — comme en France l’affaire du siècle ou aux Pays-Bas la fameuse affaire Urgenda — ont permis de montrer que le droit est un outil précis et assez effectif. Désormais les politiques, les scientifiques et en général tous les experts sur le changement climatique, découvrent que le droit enferme des techniques, des concepts, des instruments et des mécanismes tout à fait intéressants et utiles. J’ai beaucoup travaillé pour la reconnaissance de la discipline juridique au sein de la communauté scientifique climatique. Toutefois, il serait souhaitable que les juristes puissent être davantage présents dans les différentes instances qui émettent des avis et/ou qui produisent des décisions.