Entretien

Alessia Sanna : « La culture d’entreprise nourrit ma création recherche et inversement »

Alessia Sanna est artiste chercheuse, son travail se situe à la convergence des arts, des sciences et des nouvelles technologies. Doctorante au sein de l’Institut ACTE, elle bénéficie du dispositif Cifre, qui lui permet de préparer sa thèse en entreprise, tout en menant un programme de recherche axé sur les données émotionnelles et la data visualisation.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours universitaire ?

Alessia Sanna : Bas-rhinoise d’adoption, c’est à l’issue d’un baccalauréat littéraire option lourde en arts plastiques, que l’intégralité de mon cursus dans la filière des arts visuels s’est engagée à l’université de Strasbourg. À l’issue d’une licence d’arts plastiques, ma spécialisation s’est poursuivie au sein d’un master recherche effectué entre 2016 et 2018. Au cours de ces deux années, une création, impulsée par une pratique artistique naissante, a trouvé un écho auprès des professionnels et du public du Prix AMMA Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour l’art contemporain ; récompensant ainsi l’une de mes premières pièces sculpturale et numérique : Screen City. Cette reconnaissance m’a permis de rencontrer l’artiste et professeur Yann Toma, qui dirige à ce jour mes recherches au sein de l’École doctorale arts plastiques, esthétique & sciences de l'art de Paris 1 Panthéon Sorbonne. Déployée autour d’une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre), cette collaboration met en lien l’Institut ACTE et le groupe Hopscotch.

Pourquoi vous êtes-vous engagée dans un doctorat ? Et pourquoi dans ce cursus en particulier ?

Alessia Sanna : En 2019, mon projet Screen City a intégré Fluxus, le premier incubateur axé sur l’entrepreneuriat culturel conçu par la direction régionale des Affaires culturelles Grand-Est. J’ai pu bénéficier d’une formation de neuf mois. Ce rapprochement avec les écosystèmes propres à l’entrepreneuriat culturel s'est révélé essentiel pour le développement de mon projet artistique et professionnel, ces secteurs étants particulièrement connectés au développement des arts numériques et à l’innovation. Certaine de ma volonté de m’inscrire en doctorat à l’échéance de ce programme, il me semblait néanmoins pertinent de cultiver une « création recherche » à l’image de la dynamique instaurée durant l’incubation. L’éventualité d’y parvenir au moyen d’un dispositif Cifre a ainsi germé, pour se concrétiser en 2022. Mon engagement doctoral représente l’aboutissement de ce parcours transverse, me donnant ainsi la possibilité d’étudier et de prendre part aux dialogues éclairés de la création recherche, leurs résultats singuliers, mais aussi leurs limites au sein du cadre académique.

Sur quoi portent vos travaux de recherche ?

Alessia Sanna : Ma pratique artistique est le point de départ de mes travaux de recherche.  Les « data sculptures » que je réalise s’inscrivent dans une démarche de réappropriation de flux issus des Big Data, extraits de leurs contextes numériques. Cette démarche questionne la « mise en donnée » du monde à travers l’exploitation sensible des multiples dimensions des data, produisant finalement une esthétique distordue du réel, dont le reflet est impacté par le format numérique. Mon objectif consiste à rendre perceptible une émotion générée par la transformation des données, afin d’offrir une nouvelle lecture sur la digitalisation. Mon enquête interroge donc les données intangibles, devenues matériaux de création et la façon dont elles sont vectrices de nouveaux récits pour les artistes témoins des transformations numériques en cours. Mes recherches sont ainsi traversées par un questionnement portant sur l’observation et la mesure du monde immatériel et l’irréductible quête de modéliser ce qui ne se laisse mettre en chiffre.

Vous-vous définissez comme artiste chercheuse, comment articulez-vous ces deux démarches, artistique et scientifique ?

Alessia Sanna : Création et recherche fonctionnent par intrications, cycles itératifs, et sont pour ma part indissociables. Si de solides liens assemblent la pratique et la théorie, leur équilibre n’est pas toujours garanti. Dans ma pratique ; ces activités sont complémentaires. Elles trouvent leurs convergences dans les arts, les sciences et les nouvelles technologies. Ici, l’expérimentation plastique est un postulat, les informations délivrées par la forme et la matière sont une connaissance unique à documenter. Soumises à l’évaluation, ces formes sont comparées, observées et analysées. La création est pour moi un terrain expérimental libre de formes, laissant place au sensible dans le déploiement d’idées innovantes donnant matière à penser. Ainsi, cette dernière structure la recherche théorique, plus normative. Ces connexions forment des ponts essentiels entre mes travaux artistiques et théoriques, dont les techniques, écrits et protocoles témoignent d’hybridations à l’œuvre qu’il convient de mettre en perspective avec les champs de la création contemporaine.

Vous bénéficiez d’une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre), quels en sont les principaux avantages pour vous et pour vos recherches ?

Alessia Sanna : Bénéficier d’une Cifre est une solution de financement trop peu répandue dans le secteur de la création recherche. Nous, artistes chercheurs, figurons parmi les « disciplines discrètes » répertoriées par l’association nationale de la recherche et de la technologie. La Cifre, pour nos disciplines peu représentées dans les écosystèmes d’entreprise, a donc cet avantage d’offrir une possibilité de financement pour les jeunes chercheurs souhaitant poursuivre leurs travaux universitaires, en dehors des sentiers battus. J’ai aujourd’hui la possibilité de produire une étude dans un cadre pérennisé, qui plus est interdisciplinaire. Cette invitation à la collaboration, portée par Yann Toma artiste et professeur à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et Benoît Désveaux, directeur général d’Hopscotch Group, représente une passerelle intéressante vers un partage des cultures et des savoirs. Ensemble, nous tentons de tisser les liens de cet échange où la culture d’entreprise nourrit ma création recherche et inversement.

Quelle est l’objet de votre thèse dans le cadre de cette Cifre ? Comment organisez-vous votre temps, entre l'entreprise, le laboratoire et vos travaux recherche ?

Alessia Sanna : En Cifre, nos propres objets de recherche cohabitent parfois avec l’objet de recherche touché par l’entreprise. En ce sens ; mon sujet, axé sur la data visualisation des données concrètes dans le champ des arts se mêle à l’étude du capital relationnel, principalement forgé par les données abstraites. Tandis que ma recherche création fait état d’un usage poétique des données à partir de captations strictement quantifiables, j’entre désormais dans un processus expérimental où la relation et les données émotionnelles composent une économie à repenser. Somme toute, mes investigations portent actuellement sur les modes d’évaluation du capital relationnel à partir du Relation Score, un outil conçu par Philippe Alberola, responsable scientifique de mes recherches en entreprise. La répartition du temps consacré à l’étude du spectre immatériel opposant données tangibles et intangibles comprend trois axes, segmentés à parts égales entre pratique plastique, recherche théorique et missions sur le terrain.

Quels sont vos projets, artistiques, scientifiques, professionnels ?

Alessia Sanna : Mes projets consistent avant tout à me concentrer sur le développement de mes travaux de recherche afin de produire ma thèse de recherche efficacement : la durée de contrat est de trois ans. En termes de création, ma dernière exposition Screen City exposée au 5è Lieu dans le cadre du Festival Ososphère, s’est achevée en octobre dernier à Strasbourg, et me conforte dans l’idée de produire davantage des œuvres immersives à partir de nos données. De nouveaux projets voient donc le jour : je participerai prochainement à un atelier de cocréation au sein du musée de la Cour d’or de Metz, en vue de la production d’une nouvelle pièce, sous condition de sélection. Ainsi se font et se défont mes intentions artistiques : au gré des opportunités, des appels à projets et de l’écosystème qui m’entoure.

À propos de la thèse d’Alessia Sanna :

Intitulé de la thèse : (titre provisoire) « DONNEES SENSIBLES. Mises en relations et modélisations points par points : visualiser les formes et les limites de l’incommensurable dans le champ des arts plastiques ». École doctorale de rattachement : École doctorale arts plastiques, esthétique & sciences de l'art depuis 2021. Unité de recherche de rattachement : Institut ACTE – Arts Créations Théories Esthétique – (UR 7539). Financement : Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), entreprise cosignataire : Hopscotch group, Agence Human to Human. Directeur de thèse : Yann Toma, Professeur des universités en Arts Plastiques et Sciences de l'art.

Pour en savoir plus sur les projets artistiques d’Alessia Sanna : http://www.alessiasanna.fr/#/

À propos du dispositif Cifre - Conventions Industrielles de Formation par la Recherche :

Le dispositif Cifre permet à un doctorant de préparer sa thèse en entreprise ou dans certaines collectivités. L'entreprise recrute en CDI ou CDD un diplômé de niveau master à qui elle confie une mission de recherche. Le salaire d'embauche est au moins égal à 23 484 € annuel brut. Les Cifre sont intégralement financées par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche qui en a confié la mise en œuvre à l'Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (ANRT).