L’intégration des philosophes du Centre de philosophie contemporaine au sein de l’UMR droit comparé a permis la construction d’un projet commun et une évolution vers une nouvelle unité de recherche interdisciplinaire du CNRS et de l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, qui porte une approche renouvelée de la fabrication et de la vie des normes.
Le Centre a pour caractéristique de réunir un ensemble d’enseignants-chercheurs de référence de leur domaine, très actifs et qui font sa notoriété, et d’avoir une grande attractivité pour les jeunes chercheurs. Il a acquis une capacité d’innovation intellectuelle, par la discussion et la confrontation des différents courants de la pensée contemporaine : approches analytiques et phénoménologiques de la normativité de l’expérience, convergence de la philosophie du langage ordinaire et des approches foucaldiennes du langage et de la vérité; comparaison et discussion des approches analytiques et des approches plus classiques des théories de la justice et de l’Etat, des régimes de normativité, de la démocratie… ; débats sur le réalismes anciens et nouveaux ; confrontation des approches fondées sur les théories de l’art et sur l’expérience esthétique, la pratique de l’art, les cultures populaires... Il est également attentif au développement des nouvelles technologies et méthodologies de participation, de concertation et travail collaboratif. L’ensemble de ces confrontations a permis une élaboration pluraliste de la notion de normativité et sa nouvelle conceptualisation interdisciplinaire.
Un point fort du Centre est l’exhaustivité des compétences de l’unité sur la philosophie présente et les normativités contemporaines : philosophie politique et sociale, philosophie du droit, métaphysique et philosophie de la connaissance, philosophies de l’expérience, théories de la justice et de l’injustice, philosophie du langage ordinaire et actes de langage, pragmatisme, épistémologie et politique, esthétique contemporaine, philosophie des religions, philosophie de l’environnement, esthétique et philosophie de l’art...
Un autre trait de l’unité est sa capacité d’innovation et de prise de risque intellectuel ainsi que son ouverture aux thématiques émergentes : éthique sociale, éthique environnementale et animale, religions, multiculturalisme et nouveaux droits, critical race studies, capabilités et empowerment, études de genre et éthique du care, performativité, théorie politique et sociologie des relations interethniques, mobilisations, démocratie radicale, philosophie environnementale, cinéma et séries télévisées… ont été dans sa palette de compétences et d’activités ces dernières années et l’ont placée en position de leader sur plusieurs thèmes encore peu développés en philosophie, relevant de l’émergence des normes et des concepts dans les pratiques sociales et la vie ordinaire.
Le projet du Centre de philosophie contemporaine au sein de l'UMR est fourni par le contexte de la globalisation et par le contraste qu’il fait immédiatement apparaître : le travail d’harmonisation des normes produit notamment par les institutions supra-étatiques s’accompagne d’une démultiplication des instances et des demandes normatives, qui mêlent désormais aux prescriptions politiques et économiques les revendications issues des modes de vie, des convictions religieuses, des exigences du goût et de la culture. La norme s’en trouve modifiée dans sa nature et avec elle le régime général des normativités contemporaines. Ce qui aujourd’hui fait norme se laisse de plus en plus difficilement dériver d’une source unique. L’impression d’une fragmentation est encore accentuée par la manière nouvelle dont les normes politiques, sociales, scientifiques, religieuses et esthétiques se nouent ensemble. La transformation des normes juridiques par les pratiques sociales nécessite la mise en œuvre de nouvelles compétences d’analyse. L’expertise conjuguée et unique des philosophes et des juristes offre la possibilité d’embrasser ce qui peut se présenter la diversité des formes de la production contemporaine des normes, en allant de l’ontologie et des définitions des normes, des règles de la connaissance et du langage, aux codes de la politique et des droits et aux normativités immanentes aux interactions humaines (illustrées en particulier par les formes spontanées de coordination et de coopération soutenues par des principes d’arrière-plan et par les formes d’action collective structurées par des principes en dehors de la mise en vigueur de type juridique, à l’instar de nombre d’initiatives dans les champs de la Responsabilité Sociale et Environnementale, de la Finance Durable ou dans divers champs de la déontologie ou de l’éthique d’organisation).
La question des normes est une question politique, juridique, morale, religieuse, esthétique. C’est aussi et d’abord une question de philosophie première, ayant trait à la définition même de l’esprit, qui, comme telle, met en jeu des aspects métaphysiques et cognitifs, au croisement de l’ontologie (que sont les normes ? et à quoi s’appliquent-elles ?), de la philosophie du langage et de la philosophie de l’esprit.
Il n’est pas nécessaire de souligner la centralité du débat sur ce problème en philosophie aujourd’hui. La philosophie contemporaine, dans ses partages constitutifs – éclatement de ses champs spécialisés comme fossés entre les grandes traditions héritées du XXe siècle, au premier chef entre philosophies dite « continentale » et « analytique » – est confrontée à l’évidence du naturalisme. Forts des progrès enregistrés au XXe siècle par les sciences factuelles, de nouveaux discours surgissent, qui donnent toujours plus aux dimensions normées de l’existence humaine le statut de simples faits objets de savoirs de fait, quand ce n’est pas purement et simplement de phénomènes naturels. Face à cette montée en puissance du naturalisme, la réflexion sur le sens et le statut des normes en tant que structures définitionnelles du mental ou de ce qu’on appellerait traditionnellement la sphère de « l’esprit », dans ses différentes dimensions constitutives, s’est ouverte à nouveau.
Comment faire droit au fait que nous vivions dans un univers de normes, et que cette normativité soit déterminante du sens de l’existence humaine, sans faire de ces normes une transcendance coupée de la réalité, et pour ainsi dire un empire dans un empire ? Telle est la question autour de laquelle tourne une bonne part de la philosophie contemporaine.
Les solutions envisagées varient suivant les écoles et les traditions, mais le problème est largement commun, en rencontre avec les interrogations des autres disciplines normatives, et on peut le dire dans une large mesure structurant pour le champ des recherches actuelles. Faut-il, contre le naturalisme réductionniste de la « première nature » (physicaliste, ou biologisant, encore qu’il y aurait précisément à faire des différences sur ce point), soutenir un naturalisme de la « seconde nature », qui maintiendrait l’irréductibilité des normes tout en ménageant pour elles la possibilité voire la nécessité d’une incorporation ? Ou bien se poser la question suivante : raisonner en termes de « seconde nature » sociale ou culturelle, n’est-ce pas reconduire tacitement le présupposé intact de la première, qui exercerait alors comme une forme de contrainte externe sur la seconde ? Le caractère fondamentalement appliqué et incarné des normes, du reste, dépend-il de la possibilité d’isoler une telle « seconde nature » comme, dans la nature, une forme d’état d’exception, ou ne résulte-t-il pas plutôt de la logique même du concept de « norme », qui ne renvoie de toute façon à rien d’autre, à chaque fois, qu’à une certaine mesure de la réalité ?
Telles sont les questions portée par le Centre au sein de l'UMR.
Le Centre de philosophie contemporaine est par ailleurs fortement engagé dans les axes de l'UMR: Genre, Démocratie, Environnement et RSE.